Quelle oeuvre d'art es-tu ? Par Audrey Chazal

On m’a récemment demandé : si tu étais un tableau, lequel serais-tu ?

J’ai balayé la question d’un revers de main — trop facile. Puis, le vide. J’avais beau chercher, aucun tableau ne me venait en tête. Alors j’ai décidé d’ouvrir la question pour me permettre de trouver une réponse qui me ressemblerait vraiment. “Quelle oeuvre d'art serais-je ?”

Je voulais présenter une artiste contemporaine car, bien que notre époque soit compliquée et parfois obscure, je suis une femme et je ne souhaiterais en aucun cas vivre à une autre période. Mon métier m’amène également à travailler quotidiennement avec des artistes contemporains ; il me semblait donc naturel de choisir une œuvre actuelle.

Finalement, deux artistes sont apparues à mon esprit, deux artistes femmes. Voici la première.

Citra est une artiste indonésienne basée à Bali. Son travail se concentre sur des pièces tissées, présentées sous forme d’installations. Le tissage, pour moi, symbolise ce fil qui relie tradition, modernité et les êtres humains entre eux.

J’ai découvert Citra lors de la deuxième Biennale d’art contemporain à Riyad. Par la suite, je suis allée à sa rencontre, chez elle, à Bali. Ce qui m’a frappée dès le début, c’est le lien Sud-Sud entre l’Indonésie et le Golfe, en partie forgé par la religion. L’islam, bien que majoritaire en Indonésie, y est modelé par des traditions hindouistes. Une fois de plus, les fils se croisent et s’entrelacent, tout comme dans les œuvres de Citra.

J’ai mieux compris le Golfe en explorant l’Indonésie et la Malaisie, et cela a été une révélation. J’aime les œuvres et les artistes qui changent mon regard sur le monde. C’est précisément pour cette raison que je me suis expatriée deux ans à Riyad, travaillant à l’ambassade de France. Naïve, penserez-vous peut-être ? Pourtant, ces réflexions m’incitent, moi aussi, à tisser davantage de connexions dans mes projets personnels et professionnels.

Citra ne peint pas : elle cherche à retrouver une histoire et à préserver un artisanat local, réalisé par des femmes musulmanes de l’ouest de Bali. Cet artisanat se perd peu à peu sous les effets du progrès technique et de la mondialisation. De nombreux artistes commencent à s’interroger sur cette problématique, mais pour Citra, ce lien entre artisanat et art est fondamental.

Ce qui m’a particulièrement touchée, c’est son engagement envers ces femmes balinaises. Elle se rend dans des zones reculées pour valoriser un travail souvent invisibilisé, car ces artisans sont à la fois une minorité religieuse et des femmes.

« Nous avons grandi en apprenant l’héroïsme masculin. Dans les textes traditionnels, les personnages féminins apparaissent uniquement comme objets de conquête et de sexualité... Je crée des contre-récits en plaçant les personnages féminins au centre. »

À travers ses tapisseries, Citra raconte des histoires et des mythes qui résonnent universellement, que l’on soit au Brésil, en Indonésie ou ailleurs. Elle dessine des figures féminines mi-humaines, mi-déesses, et cherche à raconter des mythes fondateurs en plaçant les femmes comme protagonistes.

Tel un fil rouge, le voyage est une nécessité pour moi. Dans un monde où les divisions semblent s’accroître, je crois qu’il est essentiel de réaffirmer nos liens et de recréer un vivre-ensemble fondé sur l’échange et la compréhension.

AC